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Vénus et l’Amour – Alessandro Allori, ca. 1570

Image : Musée Fabre, Montpellier.

Le tableau et son artiste

Alessandro Allori (1535-1607) est un peintre florentin, élève de Michel-Ange et qui fut touché par le style de l’artiste lors de son séjour à Rome de 1554 à 1556. C’est peu après 1570 qu’Allori réalise Vénus et l’Amour, aujourd’hui conservé au Musée Fabre de Montpellier. Cette huile sur bois, dans un cadre en bois mesurant environ 14 cm d’épaisseur, mesure quant à elle 143 cm de hauteur environ sur 227 de largeur. Cette œuvre, la plus belle de différentes versions connues, a fait partie de la collection du duc d’Orléans (1674-1723) au Palais Royal et a été rachetée par la ville de Montpellier en 1887. Cette peinture, en très bon état, a été restaurée (nettoyage, vernissage et retouches) en 1941 par R. de Saint-Clair.

Un peu d’histoire : La Vénus et le nu féminin

Inspirées par les mesures des statues antiques, les académies atteignent leurs apogées à l’époque moderne, et particulièrement au XVIIe siècle. Vénus servira de prétexte et de modèle pour traiter le nu durant cette époque alors qu’auparavant, celui-ci apparaissait à travers les sculptures antiques puis les personnages d’Adam et Eve.

La Vénus d’Alessandro Allori s’inscrit dans le courant maniériste florentin par le soucis d’élégance décorative, ses formes suggérées et idéalisées, les corps lisses et leurs proportions allongées, étirées. Le corps de la Vénus suggère un mouvement de torsion, un contraposto ainsi que la grâce nous donnant une femme voluptueuse. Toujours idéalisé ici, comme les canons de l’Antiquité, le nu évoluera le siècle suivant, en particulier avec le courant baroque où le corps n’est plus idéalisé, les chairs et les formes sont beaucoup plus voluptueuses et suggérées, tout comme le mouvement. La caresse et les frôlements sont plus présents et le corps n’est plus caché.

Iconographie

Deux personnages se trouvent en premier plan et prennent une grande partie du tableau. Il s’agit de Vénus, nue et portant une couronne ainsi que d’un enfant, Eros (ou l’Amour), cherchant à attraper un arc. Vénus s’empare de l’arc de son fils au moment où il s’apprêtait à tirer une flèche puis elle lui lance un regard réprobateur.

Également au premier plan, une pomme d’or destinée « à la plus belle » est visible. C’est un élément de la mythologie grecque, présent dans le Jugement de Pâris (épisode important qui met en compétition les déesses Héra, Athéna et Aphrodite, et préfigure la guerre de Troie). Aux noces de Pélée (roi de Phthie, en Thessalie, et père d’Achille) et Thétis (Néréide ou nymphe marine, mère d’Achille), sur l’Olympe, tous les dieux sont invités sauf Éris, déesse de la Discorde. Pour se venger, elle leur jette la pomme d’or « Pour la plus belle ». Trois déesses revendiquent le fruit, Héra, Athéna et Aphrodite. Zeus ordonne à Hermès (messager des dieux) d’emmener les déesses sur le mont Ida, et demande à Pâris de désigner la gagnante. Le jeune homme accorde finalement la pomme à Aphrodite, qui lui a promis l’amour de la plus belle femme du monde, Hélène.

Les colombes et les roses sont quant à elles des attributs de Vénus, destinés à être compris par les érudits et les lettrés. Elles sont les symboles de l’amour et de la tendresse tandis que le lièvre, également attribut de la déesse, symbolise la crainte et la timidité.

En arrière plan, un couple nu tombe dans des flammes, tourmenté par des remords et se débattant dans un brasier. Il s’agit ici d’une allégorie qui mettrait en garde le spectateur sur les méfaits de l’amour et les égarements du vice et de la volupté. Cela évoque la passion qui nous fait perdre la raison. Ici, toutes les valeurs chrétiennes sont transmises avec ce sujet mythologique. La morale chrétienne mêlée à la mythologie est caractéristique du maniérisme Florentin. Ce thème a d’ailleurs été souvent abordé par les artistes de la Renaissance.

La composition

Le groupe principal est ici représenté par Vénus et l’Amour en premier plan et qui occupent la partie droite du tableau avec les colombes. Les personnages secondaires sont moins visibles en arrière plan. Le premier plan et la lumière de celui-ci mettent en valeur les deux figues importantes du tableau que sont les dieux. L’arrière plan, plus sombre, est plus mystérieux, créant un effet de clair-obscur et de profondeur. Il est une ouverture sur le monde, sur l’extérieur et sur un paysage éclairé. Le monde des dieux et des humains se trouve donc séparé. Vénus semble sereine et vie un moment particulier avec son fils tandis que le monde des hommes semble tourmenté par les guerres qui éclatent et les désordres.
La déesse tient le bras de son fils. Leurs bras dirigés vers l’arrière plan nous montrent la direction menant à la seconde scène et nous invitent à s’y intéresser. Une ligne horizontale va d’un bras de l’Amour à l’autre. La diagonale qui va du haut des ailes de l’Amour, passe pas sa main et va jusqu’au drapé de Vénus. Le paysage allant jusqu’à la tête du lapin forme également une diagonale. Des courbes et contre-courbes sont surtout visibles à travers les corps des personnages, les bras et les ailes, les cuisses, créant une torsion et une déformation du buste de Vénus. Un effet de perspective est crée avec le paysage qui redevient clair au fond de la composition et attire le regard.

Les formes semblent délimitées par un dessin et le modelé est rendu par un dégradé de couleurs. Pour le drapé, un bleu plus foncé est utilisé afin de créer les ombres. Un effet de transparence est visible sur le drapé posé sur la déesse, provoqué par un dégradé de couleurs ici aussi et des touches de blanc créant une épaisseur. La carnation des dieux est plus lumineuse et claire que celle des hommes en arrière plan ce qui contraste avec les couleurs du paysage, de la nature et l’endroit dans lequel ils se trouvent. Tout comme pour le paysage et les animaux, les visages et les cheveux ondulés des personnages sont détaillés laissant paraître une grande finesse et délicatesse. Les formes de la Vénus sont typiques du modèle de l’Antiquité et de l’époque. Elle est ici idéalisée et la position dans laquelle elle se trouve donne une impression d’élancement, de mouvement et de torsion aidée par les bras de l’Amour qui sont ouverts. Vénus tient le bras gauche de l’Amour qui essaye d’attraper son arc avec sa main droite. Le corps humain est traité avec beaucoup de volumes et l’expression de la chair et de la nudité mettent en avant une sensualité. Le buste de Vénus, allongé, nous rappelle la Madone au long cou de Parmesan avec ses membres étirés, ne respectant pas les proportions contrairement au reste de la composition. Le soucis de monumentalité, l’allongement des lignes et la torsion des corps sont des caractéristiques du maniérisme. Alessandro Allori conçoit ici une complexe représentation de Vénus qui doit beaucoup aux puissantes figures de Michel-Ange.

Les personnages au premier plan sont mis en valeur par une lumière claire tandis que le fond est sombre. Ce clair-obscur isole les dieux du reste du monde. La lumière forte et acide semble artificielle et peut rappeler les fresques de Michel-Ange dans la chapelle Sixtine. Le fond obscur ne permet pas de bien distinguer les personnages en arrière plan et est lui aussi caractéristique du maniérisme. La lumière sur le paysage en arrière plan le met en valeur et donne cet effet de profondeur ajouté au paysage obscur situé un peu plus avant. Ces derniers  traduisent une influence de l’art flamand. La lumière sur les corps des personnages crée des zones d’ombres et de lumières donnant du volume aux corps et aux chairs.

Les couleurs sont, pour la plupart, claires et avec des tonalités vert-bleutés reflétant une fascination pour l’art des Flandres. La lumière rend la couleur de la peau très acidulée et très lumineuse. Toutes ces couleurs claires contrastent avec l’arrière plan. Les tons froids du paysage et du drapé de Vénus contrastent avec les tons chauds composant la carnation des personnages ainsi que leurs cheveux et la pomme d’or devant eux. L’artiste utilise des camaïeux pour dégrader les couleurs. Des petites touches de couleurs claires sont rajoutées sur les fleurs et les animaux, les faisant ressortir de la composition. La touche semble lisse, en dégradé et les tons acides rappellent son maître Bronzino.

Pour aller plus loin :

– Ce corps idéalisé, lisse, en chair et sensuel apparaissait déjà dans Les trois Grâces de Raphaël réalisé en 1504-1505). Le dessin et le contour des corps sont moins considérés et ici, l’artiste s’intéresse plus au rendu des carnations. Dans ce tableau, l’artiste s’inspire probablement d’œuvres comme le groupe sculpté se trouvant dans la cathédrale de Sienne. Elles ont une attitude hanchée, leur poids repose sur une seule jambe. Leur carnation est claire ici, leur chevelures attachées. Elles sont juste parées de bijoux, de perles et l’une d’entre elle est vêtue d’un drapé léger et transparent autour de la taille rappelant celui que porte la Vénus d’Allori. Elles sont idéalisées et leurs proportions semblent correctes. Leurs corps ne semblent pas étirés malgré la sensualité qui se dégage de leurs formes et de la positions de leurs bras et de leurs corps. Leur chair semble ferme comme celle de la Vénus d’Allori et elles ne semblent pas inviter à la caresse, les mains se posent avec légèreté sur les épaules sans frôlements. On voit encore cette influence des statues antiques et de ce canon idéal.

Raphaël, Les trois Grâces, 1504-1505.

– La position allongée de Vénus n’est pas sans rappeler celle de la Vénus endormie (ou Vénus de Dresde) de Giorgione (1508-1510) et du Titien. Cette Vénus, contrairement à celle d’Allori, reprend la pose de la Vénus pudique qui cache son sexe avec sa main. La chair semble être peinte pour être touchée et donne à la Vénus sensualité et volupté. La suggestion du toucher est suscité par un procédé de mimèsis. La Vénus lève le bras ce qui laisse percevoir la chair tendre. La position des mains provoque une réaction qui en appelle à la vision mais également au toucher du spectateur. La chevelure de la Vénus, en retrait et endormie, est tressée.

Giorgione, Vénus endormie, 1508-1510.

– Dans la Vénus d’Urbino de Titien qui date de 1538, elle nous regarde, sa chevelure détachée et qui se repend sur ses épaules. Cette fois ci, elle est réveillée et a également la main entre ses jambes. Cependant, le jeu de frôlement est plus provoquant. De plus, elle accroche le regard du spectateur avec son regard frontal qui n’est pas détourné ou concentré sur un autre élément du tableau comme dans le tableau d’Allori.

Titien, Vénus d’Urbino, 1538.

– Agnolo Bronzino a réalisé une Vénus proche de celle de Montpellier, Vénus, Cupidon et Satyre (1553-55), anciennement à la galerie des Uffizi à Florence et aujourd’hui à la Galleria Colonna à Rome. Cependant, la toile est plus haute que celle d’Allori. L’attitude de la vénus est plus aérienne et l’influence de Michel-Ange dans la musculature est un peu moins accentuée sur cette toile. On note l’absence de draperie sur les cuisses et un paysage moins boisé que celui sur la toile de Montpellier. Sur la peinture d’Allori, la coiffure de la déesse est plus recherchée, elle est moins voilée et ses attributs sont différents. Le sujet est le même et les formes et dispositions sont presque similaires. Les deux œuvres seraient sorties du même atelier.

Bronzino, Vénus, Cupidon et Satyre, 1553-1555.Bronzino, Vénus, Cupidon et Satyre, 1553-1555.

– Cette iconographie et cette disposition des personnages est également visible sur le tableau de Maerten Van Heemskerck, fortement influencé par l’art de Michel-Ange, datant de 1545.

Maerten Van Heemskerck, Vénus et l’Amour, 1545.

 

Bibliographie et webographie

BAJOU, Thierry ;  BAJOU, Valerie ; Musée Fabre (Montpellier), Chefs-d’oeuvre de la peinture = 100 masterpieces : de Jean Cousin à Degas, Montpellier : Musée Fabre, 1988.

LANEYRIE – DAGEN, Nadeije, L’invention du corps. La représentation de l’homme du moyen âge à la fin du XIXe siècle, (Histoire,Tout l’art) Paris, Flammarion, 2006.

MIGNOT (C.), RABREAU (D.), Histoire de l’art, Temps modernes. XVe-XVIIIe siècles, Paris, Flammarion, 1996.

http://museefabre.montpellier-agglo.com/

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