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L’église Saint-André de Montagnac, adaptation de modèles rayonnants septentrionaux dans le Midi gothique

L’église Saint-André de Montagnac, adaptation de modèles rayonnants septentrionaux dans le Midi gothique

Par Amandine AMERDEIL

Intervention dans le cadre du colloque Arts religieux et profanes au Moyen Âge, organisé le 7 octobre 2017 par les Amis de Montagnac

 

Dans le cadre de ce colloque sur les arts au Moyen Âge, il a été difficile d’orienter toute une année de recherche sur un sujet précis. Le plus simple étant de faire, lors de cette intervention, un état de la recherche et une analyse rapide de l’édifice, bien que chacune de ses parties pourraient faire l’objet d’un développement. La construction et les décors de cette église étant complexes et ambitieux, le choix s’est porté sur les diverses influences et inspirations provenant du Nord et faisant de Saint-André un édifice exceptionnel dans la région.

 

INTRODUCTION

L’art gothique s’est développé et a été expérimenté très tôt dans la région avec les premiers voûtements gothiques, à l’aide de croisées d’ogives carrées et parfois toriques, présents dans certaines parties d’édifices du XIIe siècle tels que Saint-Gilles du Gard, Saint-Pierre de Maguelone, dans le porche de Saint-Guilhem-le-Désert ou encore dans la salle capitulaire de l’abbaye de Valmagne. Certaines églises présentaient déjà des voûtes d’ogives constituées de tores en amande, comme à Notre-Dame de Venasque ou Notre-Dame-du-Lac du Thor, provenant de régions septentrionales comme le domaine franco-picard ou la Bourgogne et utilisées durant le XIIe siècle1.

Dès le début du XIIIe siècle, l’architecture gothique commence à s’implanter dans le Midi avec les chantiers des grandes cathédrales tels que celui de Saint-Nazaire de Béziers, Saint-Just de Narbonne, une partie de Saint-Etienne de Toulouse et de Saint-Nazaire de Carcassonne. Certaines petites églises du Midi, et notamment de l’Hérault, semblent construites ou reconstruites durant la deuxième moitié du XIIIe siècle et la première moitié du XIVe siècle sur des modèles d’architecture gothique déjà existants dans le Nord de la France. Cela est le cas pour des édifices tels que ceux d’Aspiran, Aniane, Pomérols ou encore Clermont-l’Hérault à partir de 1275-1276. Dans une région où les édifices à vaisseau unique sont plus répandus, certaines églises des diocèses de Béziers, d’Agde et de Lodève sont le témoin d’un renouveau architectural dans le Midi avec leur plan à trois vaisseaux. Cela est également le cas de l’église Saint-André de Montagnac, anciennement Notre-Dame, qui fait partie d’un Midi méconnu par rapport au Midi toulousain ou avignonnais2 avec ses grandes églises ou cathédrales. Mentionnée dès 990 dans les sources, cette ancienne église romane située près de l’enceinte médiévale, présente un plan particulier à trois vaisseaux, rare dans la région. La reconstruction de cet édifice ambitieux a probablement débuté durant la deuxième moitié du XIIIe siècle à partir de bases romanes et ne semble pas avoir été énormément freinée par les divers conflits ou épidémies durant le XIVe siècle. Elle a sans doute été effectuée afin d’agrandir l’édifice qui a ensuite été doté de chapelles latérales dès la fin du XIVe siècle ou au XVe siècle. Ces possibilités de construction étaient probablement dues aux foires ayant lieu sur plusieurs siècles et ne cessant de faire grandir la renommée de Montagnac et Pézenas suite aux privilèges accordés par Saint Louis. L’ambition de la construction de cette église témoigne de la prospérité et de l’important centre économique qu’était Montagnac lors du Moyen Âge.

LE PLAN DE L’EGLISE

La disposition du portail est un élément à mettre en évidence puisqu’il est situé au sud et non à l’ouest comme la plupart des édifices. Cet agencement pourrait s’expliquer par le fait que l’église se trouve à proximité de l’enceinte, située au nord, et que pour des raisons pratiques, il semblait plus simple de créer ce portail au sud. Les portails latéraux ont parfois eu plus de succès car, le plus souvent, l’édifice était implanté dans le tracé d’une cité Antique ne permettant pas certains aménagements et impliquant une adaptation de la part des architectes3. Cela est probablement le cas à Montagnac car un drain du IVe siècle a été retrouvé au chevet de l’église actuelle, lors de fouilles réalisées en 1987, laissant peut-être entrevoir une villa abandonnée à la fin de l’Antiquité ou bien un habitat groupé autour d’une première église4. Cette disposition n’est cependant pas une exception dans la région. Plusieurs églises paroissiales de l’Hérault sont seulement composées de portails latéraux. Cela est le cas à Saint-Hyppolite de Fontès, où le seul portail se trouve au sud, et à Saint-Julien de Saint-Félix-de-Lodez, où l’entrée se fait par le sud puisque des bâtiments se trouvent à l’ouest. L’église d’Aspiran dispose de deux portails latéraux, au nord et au sud, l’accès à l’ouest étant empêché par les bâtiments. Enfin, la paroissiale Saint-Jean-Baptiste de Vias dispose également d’un portail au sud, ne faisant pas de celui de Montagnac une exception dans la région et plus particulièrement dans l’Hérault.

LE CHOEUR

L’abside de Montagnac, construite à la fin du XIIIe siècle, est aussi large que le vaisseau central mais un peu plus basse que celui-ci. Elle est précédée d’un arc-diaphragme triomphal s’ouvrant sur toute la largeur de l’abside et percé d’un oculus quadrilobé. La plupart des édifices gothiques méridionaux possèdent une nef à vaisseau unique et une abside à cinq pans voûtée d’ogives mais ce n’est pas le cas de l’église de Montagnac qui présente sept pans dont seulement trois sont ajourés grâce à de grandes fenêtres prenant toute la largeur du mur. Ces absides à 7 pans ne sont pas une exception dans le Midi et concernent des édifices, principalement de l’Hérault, tels que Notre-Dame-des-Vertus à Paulhan (XIIIe siècle) ; Saint-Saturnin de Tourbes (vers la fin du XIIIe ou au début du XIVe siècle) ; Sainte-Eulalie-de-Merida de Cruzy, Saint-Sulpice à Castelnau-de-Guers et Sainte-Cécile de Loupian (dans la première moitié du XIVe siècle) ; Notre-Dame de Grâce à Sérignan (XIVe siècle) ; Saint-Etienne de Capestang (dont l’abside date du premier quart du XIVe siècle) ; Saint-Paul de Clermont-l’Hérault (dont le chœur a été construit entre 1275 et 1331) ; Saint-Félix de Gérone à Coulobres (premier quart du XIVe siècle) ; Saint-Félix-de-Montceau, à Gigean (fin du XIIIe siècle) ; Saint-Cyr à Pomérols (dernier quart du XIIIe siècle) ; Saint-Etienne de Valros (première moitié du XVe siècle) ; Saint-Martin de Conas (datant probablement de la seconde moitié du XVe siècle). L’abbaye Sainte-Marie-Madeleine de Bonlieu du Vignogoul, à Pignan, (première moitié du XIIIe siècle), Sainte-Marie de Valmagne (XIIIe-XIVe siècles) et Saint-Nazaire de Carcassonne (dont l’abside date de la fin du XIIIe ou du début du XIVe siècle) présentent également une abside à sept pans5.

Les longues fenêtres à deux lancettes en arc brisé redenté d’un trilobe de l’église de Montagnac sont percées seulement sur trois pans de mur, le pan central et deux pans latéraux. Les pans qui ne sont pas percés de fenêtres sont coupés par un cordon situé au niveau des lobes des deux grandes baies et rejoignent directement celles-ci. A Clermont-l’Hérault, l’abside est composée de trois longues fenêtres à double lancette également ouvertes sur le pan central et deux pans latéraux. D’autres églises ont une abside seulement ouverte sur trois pans comme Sainte-Cécile de Loupian et l’église Saint-Pargoire à Saint-Pargoire (dont l’abside à cinq pans daterait cette fois-ci de la fin du XIIIe siècle). Le reste des absides des églises citées précédemment sont ajourées sur leurs sept pans ou pas de la même façon qu’à Montagnac et Clermont-l’Hérault.

A Montagnac, les baies sont composées d’un réseau de remplages où se superposent trois trèfles sous un arc brisé. Le trilobe a beaucoup été employé à partir de la fin du XIIe siècle et jusqu’au XVIe siècle6. Il n’est donc pas surprenant de le retrouver à Saint-André. Les baies de Clermont-l’Hérault sont quant à elles composées des mêmes éléments qu’à Montagnac, renforçant la ressemblance entre les deux sanctuaires, même si de légères différences sont visibles. Ce modèle évoqué, purement rayonnant, se retrouve dans l’abside à cinq pans à Saint-Pargoire mais également dans l’abside de l’église de Sérignan avec sa sculpture feuillagée variée, les têtes sculptées sur les clefs de voûtes ainsi que les colonnettes rythmant la construction et donnant une impression de verticalité. Selon Adeline Béa, dans sa thèse datée de 2001, les constructeurs de Sérignan se seraient inspirés des modèles de construction d’Île-de-France de la deuxième moitié du XIIIe siècle7.

Ce modèle de deux lancettes trilobées surmontées de trois trèfles est également visible dans quelques cathédrales comme à Saint-Nazaire de Carcassonne dont le chœur est daté entre la fin du XIIIe et le début du XIVe siècle. Cependant, les trèfles se trouvent inscrits dans des triangles incurvés contrairement à ceux de Montagnac. A Carcassonne, l’influence des modèles parisiens et champenois est visible8. Il en est de même pour les fenêtres hautes du chœur de la cathédrale de Narbonne, achevé vers 1332. Cette composition avait déjà été observée quelques temps auparavant dans les édifices du Nord tels que la chapelle haute de la Sainte-chapelle, consacrée en 1248, dont l’abside est également séparée en sept pans et décorée de baies, composées de deux lancettes trilobées surmontées de trois trèfles, très similaires à celles de l’abside de Saint-André de Montagnac.

A Saint-André de Montagnac, les voûtains sont fortement brisés et s’articulent autour d’une clef de voûte non décorée et reliée à l’arc triomphal par une lierne de liaison ou de rattrapage que l’on retrouve également à Saint-Nazaire de Béziers (dont le chevet date de 1209-1300) avec un modèle de clefs feuillagées qui « s’insèrent dans la lignée des églises à trois nefs construites dans la vallée de l’Hérault, à la suite de l’église du Vignogoul »9. L’église de Montagnac a donc pu trouver son inspiration dans cette abbaye puisqu’une lierne y est visible et c’est dans cette dernière que le gothique méridional semble avoir fait une de ses premières apparitions, durant la première moitié du XIIIe siècle. Cette lierne est également visible dans les absides des édifices de Paulhan, Pomérols et Clermont-l’Hérault. Plusieurs éléments de Saint-André de Montagnac sont similaires au Vignogoul. En effet, les deux édifices présentent des ogives dont le tore en amande est souligné par deux filets10. A Montagnac, elles retombent sur des chapiteaux tronconiques surmontant de fines colonnettes adossées. Le profil des abaques et des tailloirs circulaires sont aussi identiques au Vignogoul11. Les chapiteaux de l’abside sont feuillagés, taillés en cul-de-lampe et se confondent presque avec le fut des colonnes. Les corbeilles sont recouvertes d’un décor de feuillages naturalistes, feuilles de chênes ou de platanes ou encore de grandes feuilles lancéolées de châtaigniers.

Les voûtes de l’abside de Saint-Paul de Clermont-l’Hérault retombent également sur des consoles feuillagées semblables à Saint-André de Montagnac. Ces feuillages naturalistes, imitant simplement la flore naturelle12, sont un modèle s’étant développé durant le XIIIe et le XIVe siècle en Île-de-France. L’église de Montagnac semble s’être inspirée de l’art du Vignogoul qui n’a donc pas seulement servi de modèle pour la cathédrale de Béziers mais aussi pour des églises plus modestes laissant deviner une datation des sculptures probablement proche les unes des autres. Cette abbaye et des églises comme Saint-Nazaire de Carcassonne (fin XIIIe siècle) ont servi de relais dans la diffusion cet art gothique du Nord de la France…

La suite dans : « L’église Saint-André de Montagnac, adaptation de modèles rayonnants septentrionaux dans le Midi gothique », Bulletin des Amis de Montagnac, n° 103 – 37° année – Mai 2018, Edition ADM, pp. 5-20.
Suite à une erreur, l’article a finalement été publié sans ses cinq dernières pages. Je vous invite donc  à me contacter afin de le récupérer en entier : amandine.amerdeil[at]gmail.com

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1ROBIN, Françoise, Midi gothique : de Béziers à Avignon, Paris : Picard, 1999, p. 37.

2Ce Midi toulousain semble avoir eu un très important rayonnement notamment dans l’Aude, jusqu’à Carcassonne et même jusqu’à Narbonne. En ce qui concerne Avignon, la papauté s’y installe durant le XIVe siècle ne faisant que renforcer son influence et son importance.

3CHRISTOPHE, Delphine, « Les fidèles et la façade occidentale », Dossiers d’archéologie et sciences des origines, numéro 319, 2007, p. 39.

4FEUGERE, Michel « Les campagnes au cours du haut Moyen Âge », Montagnac 6000 ans d’histoire, Les Amis de Montagnac, 1991, p. 48.

5Les dates avancées proviennent principalement de divers ouvrages et bases numériques :

Base d’architecture Mérimée.

BEA, Adeline, L’art gothique en Bas-Languedoc : l’affirmation d’une architecture régionale (XIIIe-XVe siècle), Thèse de doctorat sous la direction de Michèle Pradalier-Schlumberger, 5 vol., Toulouse 2, 2001.

Enquête menée par Adeline Bea pour les Monuments historiques en 2001, accessible sur la base Mérimée également.

PRADALIER-SCHLUMBERGER, Michèle, Toulouse et le Languedoc : la sculpture gothique (XIIIe-XIVe siècles),1998.

ROBIN, Françoise, Midi gothique : de Béziers à Avignon, 1999.

6VIOLLET-LE-DUC, Eugène Emmanuel, Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XIVe siècle, vol. 9, 1875.

7BEA, Adeline, L’art gothique en Bas-Languedoc : l’affirmation d’une architecture régionale (XIIIe-XVe siècle), Thèse de doctorat sous la direction de Michèle Pradalier-Schlumberger, 5 vol., Toulouse 2, 2001, p. 35.

8MIGNON, Olivier, Architecture des cathédrales gothiques, 2015, p. 47.

9BEA, Adeline, L’art gothique en Bas-Languedoc : l’affirmation d’une architecture régionale (XIIIe-XVe siècle), Thèse de doctorat sous la direction de Michèle Pradalier-Schlumberger, 5 vol., Toulouse 2, 2001, p. 36.

10PRADALIER-SCHLUMBERGER, Michèle, Toulouse et le Languedoc : la sculpture gothique (XIIIe-XIVe siècles), 1998, p.116.

11PRADALIER-SCHLUMBERGER, Michèle, Toulouse et le Languedoc : la sculpture gothique (XIIIe-XIVe siècles), 1998, pp. 115-116.

12KAUFFEISEN, Léon, « Coup-d ‘œil sur la flore architecturale du Moyen-Age », Revue d’histoire de la pharmacie, 19ᵉ année, numéro 76, 1931, p. 273.

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